Les liturgies sataniques des abominations mutantes s'élevaient du transmetteur microphonique de Konrad comme autant de glaires qui auraient été crachées à la face du Seigneur ! Il ne put plus le supporter plus longtemps et écrasa dans le puissant gantelet de son armure le gadget électronique de la taille d'un jeton de poker. La partie de cache-cache était finie !!
Il sentait une colère infinie monter en lui depuis le plus profond de son âme. Elle ressemblait à une réaction en chaîne, une explosion de rage incendiaire partant de son coeur et abreuvant tout son être. Il savait reconnaitre les signes la haine, et les Hommes de Foi l’avaient averti des dangers, mais aujourd'hui il aurait besoin de l'incroyable énergie et de la détermination sans faille qu'elle lui procurerait.
« Bellum omium contra omnes ! » clama-t-il en latin avec une telle ire que le vocalisateur électronique de son casque ne parvint pas à masquer sa fureur. Une demi-douzaine de heaume de combat ouvragé, ses fidèles Hospitaliers, se tournèrent vers leur Sergent. Mais Konrad n’y prêta pas garde, concentré sur la console de contrôle de leur Rossignol. Leur distance de la balise de Nida, leur éclaireur, se réduisait à vue d'oeil sur l'écran alors que le transporteur au cou enluminé de saintes gravures dorées fonçait à une vitesse ahurissante entre vallées fumantes et villes dévastées. Konrad pressa sur la commande tactile de l'ouverture du sas de saut. L’air vicié de l’extérieur se précipita à travers l’ouverture de l’appareil en hurlant telle une banshee. Ses miasmes soufflèrent sur l’armure des Soldat de l'Ordre de Sainte-Marie-des-Teutoniques sans toutefois parvenir à les faire broncher.
Ils ressemblaient à des géants et plus encore : à des archanges revêtus d'une armure céleste ! Ils étaient massifs, mais malgré leur taille avoisinant les 2,50 mètres et l’épaisseur de leurs plaques de protection, ils conservaient une apparence gracieuse. La combinaison des lignes fluides des différents éléments de leur carapace et la finesse des gravures religieuses, toutes en relief, qui les ornementaient étaient pour beaucoup dans cette impression de grâce angélique. La croix de leur heaume projetait une lumière bleu turquoise très pure dont l’intensité semblait varier en fonction de l’humeur même de leur porteur. Un gorgerin protégeait les articulations du coup et était le point de départ d’une magnifique fresque personnalisée pour chaque armure qui se déversait ensuite sur le plastron et les plaques rivetées articulées ainsi qu’au niveau des spalières sur les épaules. Celle de Konrad dépeignait l’affrontement de Saint Michel terrassant le terrible dragon. Le reste de l’armure, les canons d’avant et d’arrière bras, les cuissards et les grèves des tibias laissait la part belle à des citations latines qui encadraient sur toutes les faces de l’armure des représentations de la Sainte Croix. Les protections des différentes jointures, que ce soit les rondelles pour les spalières des épaules, les cubitières pour les coudes ou encore les genouillères se détachaient de l’ensemble par une dorure à l’or fin. Il semblait curieux d’exposer ainsi les points sensibles de la carapace, mais c’était sans compter sur les reliques, principalement des petits os ayant appartenus à de Saint hommes, qui y avaient été encastré. Les Soldats de Dieu s’en remettaient ainsi encore plus à leur Foi qu’aux appareillages technologiques intégrés. Il était à ce titre frappant de constater à quel point ces gadgets technologiques savaient se faire oublier en apparence tout en apportant des avantages décisifs à leur porteur, en particulier une force et une résistance hors du commun.
Nida, leur fidèle éclaireur, avait transmis son signal lorsque les monstres avaient entamé leur rituel infernal, dans les décombres de Kassel, en ex-Allemagne. Suivre la trace des groupes de mutants n'était pas un problème en soit : les saccages, viols et massacres inhumains laissaient une piste facile à suivre. Mais attaquer des groupes épars n'aurait servi qu'à fatiguer les Soldats de Dieu. Il leur fallait connaître le moment fatidique, celui ou les prophètes sataniques allaient les regrouper et lancer le rituel de possession qui verrait l'âme d'une jeune vierge détruite, son corps à jamais habité par un puissant démon succube.
Les voyants de saut virèrent au rouge carmin dans le Rossignol, et Konrad s'élança par le sas sans un regard en arrière. En tant que Sergent il aurait dû prendre le dernier tour pour s'assurer que ses hommes ne perdraient pas le contrôle. Mais Konrad avait confiance en chacun des Frères de sa compagnie ... et sa colère noire allait bientôt le dévorer de l'intérieur s’il ne la laissait pas exploser !
Propulsé par ses bottes de lévitation au milieu des bâtiments en ruine, il atterrit avec grand fracas quelques secondes plus tard au milieu d'un attroupement de mutants. Il venait de broyer l'un d'entre eux en pesant de tout son poids sur sa colonne vertébrale. Les monstres dépravés étaient en train d'arracher les membres d'un innocent capturé au passage de leur cirque de mort. Konrad vit sur le côté que deux des mutants se donnaient du plaisir de manière abjecte avec un avant-bras découpé. Mais sa soif de justice s’embrasa plus encore à la vue des croix inversées et des portraits de la Vierge Marie dévoyés et piétinés. Des humains encore vivants, bien que tous atrocement mutilés, avaient été empilés dans des cuves rouillées où ils étaient cuits à petits feu. D’autres pendaient pitoyablement sur des crochets de bouchers en attendant leur tour ... Il fallait que toute cette folie cesse ! Maintenant !!
Tel un volcan explosant de fureur dans une éruption trop longtemps contenue, Konrad hurla dans son amplificateur vocal poussé au maximum de ses capacités :
« DIES IRAE !!!! »
La puissance du cri se fit entendre à près d'un kilomètre à la ronde et les mutants les plus proches du Templier furent totalement abasourdis. Profitant de leur stupeur, Konrad débloqua mentalement le verrou magnétique de l’énorme glaive suspendu au dos de son armure. Le manche autoguidé vint instantanément se positionner dans sa main droite et son impressionnante lame se nimba d’une aura d’un bleu électrique. Il empoigna l’arme à deux mains et lui fit décrire un large cercle au-dessus de sa tête. Le vrombissement des multiples servomoteurs de son armure mis à contribution fut couvert par le hurlement des blessés. Cinq monstres mordirent la poussière tandis que des membres hypertrophiés découpés net s’agitaient encore au sol.
Konrad n’attendit pas que l’effet de surprise passe et se fendit en avant, glaive fermement pointé, pour embrocher encore trois autres mutants. Déjà autour de lui d’autres impacts retentissaient. Les membres de sa compagnie atterrissaient les uns après les autres et se joignaient à la purge des zélotes démoniaques. Tous ensemble ils se mirent à tailler de toute part, fendant crânes et membres indifféremment. Les mutants fanatisés ne semblaient plus ressentir ni les coups, ni la peur devant le carnage délivré par les géants de fer. Ils se jetaient parfois même uniquement avec leurs appendices difformes en guise d’arme sur les Soldats de Dieu, pour se retrouver empalés sur leurs épées. Mais quel que soit le nombre de tués, il en arriver toujours plus pour se jeter comme des damnés sur les Hospitaliers. Leurs saintes armures étaient maintenant toutes recouvertes d’un sang noir et poisseux. Konrad ne permettait pas à ses Frères la moindre relâche dans la vigueur de leurs coups. Il ne savait que trop ce que tentaient leurs ennemis : les submerger et les empêtrer avant qu’ils n’aient eu le temps de converger vers le pentacle d’invocation !
Frère Jacob entonnait dans leur communicateurs la prière guerrière de leur Saint Ordre, et chacun d’entre eux, Konrad en tête, en scandaient les refrains tandis qu’ils exécutaient en transpirant les larges moulinets de lame tant de fois répétés. Mais c’était à une véritable marée inhumaine, rendue frénétique par ses prophètes démoniaques, qu’ils s’attaquaient. Konrad était en train d’exécuter une succession d’attaques diagonales dans un mouvement en ailes de papillon lorsqu’il entendit Edmund et Haerdt tomber presque simultanément.
Il serra les dents en se fendant d’une autre attaque circulaire basse. Pas maintenant ! Pas si près !!
Frère Luka fut pourtant mis à mal à son tour.
« IRA FUROR BREVIS EST !! » ordonna Konrad d’une voix blanche dans son micro interne intégré.
La réponse ne tarda pas à crépiter dans son oreillette : « Demande de confirmation avant frappe tactique 3-0 sigma »
« IRA FUROR BREVIS EST !! KONRAD, CONFIRMÉ !! »
Quelques microsecondes plus tard, des trainées qui auraient pu ressembler à des étoiles filantes illuminèrent le ciel. Lorsque la centaine d’ogives explosives frappa le sol, l’apocalypse se déchaîna ! Détectés par le guidage des missiles et ancrés dans le sol par le verrou géomagnétique de leur armure, moins de la moitié des Soldats de Dieu resta pourtant en place en un seul morceau. Les explosions furent si intenses que plusieurs bâtiments de la ville en ruine commencèrent à chanceler et à s’abattre autour d’eux, tandis que des centaines de corps étaient éparpillés et projetés dans les airs. Konrad priait pour que les armures de ses Frères puisse les avoir protégé du pire, mais le sacrifice avait été nécessaire. Les prêtres infernaux, qui s’étaient regroupés au sein du pentacle pour finaliser le rituel et repousser les Templier, avaient été contraints d’utiliser leur sorcellerie pour projeter un puissant champ de protection et ainsi éviter d’être eux aussi oblitérés. Mais ce faisant, ils avaient désormais bien trop fait appel aux pouvoirs de leurs maîtres infernaux pour pouvoir leur échapper. Les enfers les appelaient et les retenaient. Malgré leur bulle de force, ils étaient maintenant seuls et incapable de quitter le pentacle d’invocation.
Konrad s’avança en titubant. Sa propre armure de Croisé était dévastée et émettait des crépitements électriques suspects à la jointure de sa spalière gauche et de son plastron. La principale plaque de blindage de son cuissard gauche avait pour sa part été totalement arrachée, laissant les vestiges de pistons tordus et de servomoteurs grillés à l’air libre. Arrivé péniblement à portée de lame du cercle rituel, le Sergent se fendit en avant pour y piquer la pointe de son glaive énergétique. Hélas, trois fois hélas, la lame avait elle aussi pâti du bombardement aérien et en se retrouvant privé de son précieux soutien technologique elle ne fit que rebondir sur la bulle de force.
Les sorciers mutants rire de lui et l’insultèrent avant de retourner à leur invocation, mais Konrad n’avait pas encore dit son dernier mot. Déverrouillant la poche blindée de son harnais gauche, il en sortit un simple tube à essai bouché et rempli d’un liquide incolore. Il le brisa aussitôt sur le champ démoniaque. Le dôme de force se mit alors à crier comme un être vivant en proie à une intense douleur. Tous les suppôts de Satan en proie à la surprise reportèrent à nouveau leur attention sur Konrad. Celui-ci, profitant de la déchirure temporaire provoquée par l’Eau Bénite se fraya un chemin à l’intérieur de la bulle. Les multiples croix de son armure, supposées être de simples ornementations, se mirent alors à rougir et à siffler, comme chauffée au fer rouge tandis qu’elles cherchaient à repousser la magie noire provenant du pentacle. Konrad n’écouta pas la douleur de sa jambe gauche et se précipita au contact des sorciers. Son épée avait beau ne plus être énergisée, elle était encore tout à fait à même de trancher la chair. Il était la Lame de Dieu et sa danse de mort fit tomber les hérétiques en quelques secondes. La jeune vierge qui lévitait au milieu du pentacle s’affaissa au sol en même temps que la bulle était dispersée.
Konrad n’avait pas les compétences pour juger de l’état de la jeune femme. Il planta son glaive à travers son abdomen puis s’agenouilla pour prier pour son âme ...